Kinshasa Les juges accusés de prolonger la détention préventive

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symbole de la justice/Internet

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(RCN-INFOSUD/SYFIA) A Kinshasa, des prévenus passent des mois, voire des années en prison pour des infractions parfois avérées, sans avoir été ni jugés ni condamnés. Ils accusent des juges de faire traîner ainsi leurs dossiers, dans le but de monnayer leur libération. Les magistrats rejettent ces accusations…

Nono Wandoka, un habitant de Kinshasa, a dû passer quatre mois à la prison centrale de Makala, en 2011, pour une affaire de coups et blessures avec préméditation, sur un de ses collègues de service. Après échec de la tentative d’arrangement à l’amiable au niveau de l’officier de police judiciaire, la victime a porté l’affaire devant le parquet de grande instance de la Gombe. Cinq jours après, Nono a été transféré à la prison. Mais aucun jugement n’a eu lieu pendant les quatre mois de sa détention préventive. « J’ai été libéré le 31 décembre, après avoir payé plus de 300 $ au magistrat qui gérait mon dossier », affirme-t-il.

Selon l’article 27 du Code de procédure pénale, un inculpé ne peut être mis en état de détention préventive que « s’il existe contre lui des indices sérieux de culpabilité et qu’en outre, le fait paraisse constituer une infraction que la loi réprime d’une peine de six mois de servitude pénale au moins. » Et si le fait paraît constituer une infraction que la loi punit d’une peine inférieure à six mois de servitude pénale, mais supérieure à sept jours, « la détention préventive est impérieusement réclamée par l’intérêt de la sécurité publique s’il y a lieu de craindre la fuite de l’inculpé, ou si son identité est inconnue ou douteuse ou eu égard à des circonstances graves et exceptionnelles. »

Mesure exceptionnelle

L’article 29 du même Code précise que la mise en état de détention préventive est autorisée par le juge du tribunal de paix. A cette étape de la procédure, « le juge ne peut pas préjuger du fond, mais doit plutôt, par une motivation suffisante et appropriée, relever, s’il y a lieu, des indices sérieux de culpabilité. Dans le cas contraire, il refusera d’autoriser la mise en détention », explique, sous anonymat, une magistrate du parquet de grande instance de Kalamu.

Le Code pénal stipule par ailleurs (article 28), que la détention préventive est une « mesure exceptionnelle ». Et, lorsqu’elle est appliquée, certaines règles de procédure doivent être respectées. La loi dit, notamment, que si le juge se trouve dans la même localité que l’officier du ministère public (OMP), « la comparution devant le juge doit avoir lieu au plus tard dans les cinq jours de la délivrance du mandat d’arrêt provisoire ». Dans le cas contraire, ce délai peut être augmenté. Et, à l’expiration de ces délais, l’inculpé peut toujours, selon le Code, demander au juge compétent sa mise en liberté, ou sa mise en liberté provisoire.

Une mini-enquête menée à la prison de Makala renseigne que la plupart des personnes inculpées mises en détention préventive présentent des indices sérieux de culpabilité. Souvent, les OPJ ont déjà réuni tous les éléments de preuve pour porter l’affaire devant les juridictions compétentes, qui pourront, à l’issue du procès, juger du sort du prévenu. Mais comme l’examen des faits infractionnels pour lesquels ils sont détenus en prison est laissé à l’appréciation souveraine du juge, « ce dernier en abuse parfois pour des raisons qui lui sont propres », dit la magistrate du parquet de grande instance de Kalamu.

Acheter sa liberté

Selon de nombreux témoignages recueillis à Makala, des prévenus sont ainsi détenus sans être jugés, parce que leurs dossiers « trainent expressément » entre les mains des magistrats du siège (juges) ou des magistrats debout (officiers du ministère public). Les juges, d’après les prévenus, veulent ainsi « chercher à se faire du gain ». Selon la gravité de l’infraction pour laquelle ils sont détenus, les prévenus paieraient 300 à 1000 $ aux magistrats pour « acheter » leur liberté, sans avoir été jugés pour des infractions même avérées. Leurs dossiers sont alors simplement classés.

Les prévenus qui n’ont pas de ressources pour pouvoir acheter leur liberté croupissent longtemps en prison. « A cause de cette pratique, la prison se remplit de gens qui attendent d’être jugés », dénonce Me Trésor Nkoy. Il invite les praticiens du droit au retour de bonnes pratiques de justice, afin que tout prévenu bénéficie d’une présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par un jugement définitif. « Le ministre de Justice et des Droits humains, le Conseil supérieur de la magistrature doivent prendre des mesures efficaces pour assainir le système judiciaire congolais », conclut cet avocat.

Rocco Nkanga

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