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    Fizi : jouer aux dames, plutôt qu’aider les femmes

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    plantation de manioc

    Pendant que leurs femmes triment dur aux champs pour nourrir la famille, les hommes de Fizi au Sud-Kivu passent leurs journées à jouer aux dames ou aux cartes et à s’enivrer. Et leurs soirées à injurier ou battre leurs épouses épuisées.

    Dès l’aube les femmes de Fizi, au Sud-Kivu, prennent le chemin des champs accompagnées de leurs plus jeunes enfants. Restés seuls, les maris au chômage ont vite fait de se retrouver ensemble, à l’ombre des arbres ou dans de petites paillotes en chaume. Là s’engagent des compétitions de jeux de dames ou de cartes. Pour y participer, il faut payer de 100 Fc et 1000 Fc par joueur et par tournoi. Pour Alembe Amisi, un joueur, « ces frais ont le mérite de limiter le nombre de participants, plus particulièrement des jeunes garçons qui n’acceptent pas facilement de perdre et qui occasionnent souvent de bagarres. Le cercle est limité aux seuls responsables (les adultes, Ndlr). »
    Dans l’après-midi, les heureux gagnants commencent à se retirer en petits groupes selon leurs affinités et amitiés. Ils se retrouvent dans des maisons de vente de « Lutuku » (une boisson locale fortement alcoolisée). Avec leurs recettes du jour, ils achètent quelques bouteilles pour célébrer leurs triomphes et aussi et surtout, affirme, Bikyeombe Amisi, un de grands champions du coin, « pour essayer de nous enivrer et oublier ainsi nos peines et misères de la maison ».

    Paresse et irresponsabilité

    Pas question que l’argent gagné serve à subvenir aux besoins de la famille, estime cet homme. Pour lui, « lorsqu’un homme n’a pas du travail, il incombe à son épouse de travailler dur la terre pour nourrir et soigner la famille ; ce n’est pas pour rien que nous en prenons deux ou trois parfois ! C’est pour nous aider dans les difficultés. » « Avec ce climat d’insécurité permanente, l’homme ne doit plus passer sa journée au champ avec sa femme, estime-t-il encore comme la plupart des hommes, il doit rester à la cité pour veiller à la sécurité du village et pour parler avec ses compères de la situation du pays qui n’est pas du tout bonne. »
    Mais leurs femmes ne voient pas leur comportement du même œil. Pour elle, ce n’est rien d’autre que de la paresse et de l’irresponsabilité. Elles ne comprennent pas pourquoi, en cette période de vache maigre, leurs maris, au lieu de se mettre sérieusement au travail en cultivant ou en faisant de braises pour la vendre, passent leurs journées à jouer. Et ce qui nous écœure le plus, dit l’une d’elles, c’est qu’ils mettent de l’argent en jeu et que leurs gains ne servent à payer ni du sel ou du savon, ni l’école à nos rares enfants qui sont scolarisés. Tout ce qu’ils gagnent part dans la boisson. Une fois ivres, ils rentrent à la maison, agressifs et méchants avec tout un tas d’exigences pour leurs repas comme s’ils avaient laissé la ration à la maison le matin. Et le plus souvent, conclut-elle, « ils ne tardent pas à nous battre comme des serpents et à nous injurier devant nos enfants. Parfois ils nous renvoient chez nos parents pour que nous soyons bien rééduquées, nous déclarent-ils ».

    L’autorité publique interpellée
    Pour les organisations de la société civile, les autorités administratives locales devraient se saisir du problème et prendre des dispositions légales pour mettre fin à cette pratique. Celle-ci a de graves conséquences sur le plan social. Selon Oscar Mbuli, de l’antenne de l’ONG Arche d’Alliance à Fizi-Centre, ces jeux accentuent la délinquance juvénile : de nombreux jeunes adolescents se livrent à des vols et à des violences pour avoir de l’argent pour jouer. Et le plus souvent, ces compétitions se terminent par de véritables bagarres rangées qui se soldent parfois par des blessés graves à l’arme blanche.
    Pour cet activiste des droits de l’homme, les femmes sont les premières victimes de cette pratique. Leurs droits sont bafoués, elles sont maltraitées, battues, humiliées et considérées comme les vaches laitières de leurs maris. Il n’y a que le pouvoir public qui est à même de mettre fin à cette pratique en appliquant la loi. Mais constate-t-il, de nombreux agents chargés d’assurer l’ordre public, jouent aussi et consomment du Lukutu jusqu’à être ivres morts.
    Les Églises aussi désapprouvent cette pratique. « Comment veulent-ils gagner leur vie en jouant ? », se demande l’Abbé Lucien de la paroisse de Fizi.
    Les femmes espèrent que la pression des forces vives permettra d’obtenir de l’autorité l’interdiction de ces jeux pour faire cesser leur calvaire, ramener leurs maris à la raison afin qu’ils assument leurs responsabilités familiales.
    Mais les joueurs invétérés n’ont pas l’intention de s’arrêter. Ils ne le feront que si l’Etat crée des emplois et sécurise leurs milieux, martèle Bikyeombe Amisi résumant l’opinion de ses condisciples. Pas question pour eux de dépenser leur énergie à travailler pour subvenir aux besoins de leur famille…

    Par Jean Chrysostome Kijana

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